mardi 1 septembre 2015

Le bouddha de mère-grand...

"Tu veux le journal, mon chéri ? Il est sur la table !", ainsi m'apostrophait ma grand-mère depuis sa cuisine tandis que je répandais mon regard dans les coins et recoins de son salon, tel un magma particulièrement visqueux, s'accrochant et coulant le long du moindre des bibelots qui chargeaient la pièce. Il faut dire que ma grand-mère aime les bibelots de toutes sortes. Elle en a même une vitrine complète, majoritairement composée de hiboux et autres chouettes.
Au-dessus de ladite vitrine trônait un autre bibelot, parmi les plus anciens que je lui connaisse; un bouddha doré et cuivré..
Ce bouddha, plus que tout autre bibelot du lieu, est un des symboles que j'associe le plus à ma grand-mère. Parce qu'il est chatoyant et luisant, il attirait mon œil dès le plus jeune âge et je n'ai pas souvenir de cette salle sans ce bouddha cuivré.
Par ailleurs, son apparence exotique correspond tout à fait à ma grand-mère qui, même il y a encore dix ans se permettait des vacances aux quatre coins du monde, afin d'admirer les nombreuses, fragiles et malheureusement parfois maintenant disparues merveilles artistiques que les peuples du monde ont dressé pour la postérité.
Il est amusant de constater que, du fait de mon attachement pour la propriétaire des lieux et néanmoins membre importante de ma famille, j'ai toujours associé ce bouddha en tailleur à une certaine sérénité et satisfaction -ce qu'il est d'ailleurs censé représenter- alors que le bouddhisme est une de ces religions qui ont tendance à me donner de l'urticaire.
Non pas que le bouddhisme ait donné naissance à plus d'aberrations philosophiques que les autres théories philosophiques, mais la simple mode en Europe des préceptes bouddhistes comme façons d'atteindre le bien-être me donne par moments de la tension.
Cette mode me fait penser au film Wasabi, dans lequel une jeune japonaise au cœur de l'intrigue porte un magnifique pull-over en laine arborant des lettres latines, comme d'autres vêtements en France porteraient des kanjis. Ironiquement c'est ce goût pour l'exotisme et la croyance dans la sagesse des vieux maîtres de contrées "lointaines et moins corrompues par le rapport à l'argent" que je soupçonne d'être à l'origine de cette passion bouddhiste chez tant d'occidentaux en mal de cours de philosophie.
Non pas qu'on ne puisse trouver des choses pertinentes chez les penseurs orientaux, voire même y puiser des concepts utiles pour sa vie personnelle, mais je doute qu'il y ait tellement d'occidentaux élevés à l'occidentale qui soient en mesure de percevoir le bouddhisme comme un chinois, un tibétain ou un japonais. Je parle là d'une vision exotique d'une religion qui demande un peu plus de réflexion que ces résumés qu'on peut trouver dans des livres et magazines de développement personnel.
Plus encore, et alors que ma grand-mère m'appelait pour me faire venir à table, je me demandais dans quelle mesure un bouddhiste de Chine ou du Vietnam accepterait qu'on use d'un bouddha, objet religieux par excellence, comme d'une simple décoration dépouillée de tout son lustre mystique.
De la même manière, j'imagine que peu de chrétiens comprendraient qu'on utilise un crucifix comme on pourrait utiliser un faux Brueghel en canevas ou qu'on le présente à ses invités comme "un souvenir d'Europe". J'avoue que, face à un tel comportement, j'ai par moments l'impression que nos vieux comportements de "colonisateurs blancs détenteurs du progrès" (avec tous les aspects négatifs que cela comporte) ne sont pas totalement effacés.


Mais l'espace de quelques seconde, j'imaginais un Jésus crucifié bronze et or au milieu de représentations miniatures kitsches du saint Chrême et autres vierges maries de bazars... Et je me mis à sourire...
Malgré ce que sous-tendent ces réflexions, comme le colonialisme intellectuel et l'exotisme, je me pris à rêver qu'un jour finalement il y ait effectivement des crucifix décoratifs flirtant -pourquoi pas- avec un certain kitsch dans les maisons de vieilles dames japonaises voire même -gare au blasphème- des Ka'aba-souvenirs dans les marchés de Shangaï...
Ne serait-ce que par un goût immodéré pour l'absurde, j'en trouverais l'idée presque poétique.

Cela existe-t-il ?
C'est tout à fait possible. On n'arrête pas les marchands de souvenirs.

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