lundi 28 mars 2016

Instantané d'éternité...


Les Hommes vivent et meurent,
Leur art grandit puis s'en va.
Les cultes vont et viennent...

Un oiseau chante sur une branche
Puis retourne couver son nid.

jeudi 24 mars 2016

Histoire d'une trahison...


Vous vous demandez sans doute ce que je représente, ou plutôt qui je représente. À dire vrai, je suis assez heureux de voir que quelques badauds s'intéressent encore aux ornementations des vieilles bâtisses. Mais je vous sais impatients d'écouter mon histoire. Ne perdons pas de temps.

Jadis j'étais Girolamo Luigi Ferruccio Luzzaschi, jeune frère du fameux Luzzasco Luzzaschi, un organiste comme on n'en compte guère qu'un par siècle, et encore.
Nous étions jeunes, mon frère et moi et aurions pu mener une vie discrète mais heureuse... C'était sans compter l'ambition démesurée de Luzzasco.
Ce grand dadais prétendait devenir un jour le plus grand organiste et madrigaliste de son époque mais ne cessait d'essuyer échec sur échec. Je me souviendrai toujours de cette réception mémorable où il fit une suite de huit fausses notes sur les grandes orgues de la Cathédrale Saint-Georges de Ferrara devant une assistance composée d'illustres musiciens et du non moins important duc Alphonse II, pourtant crucial pour son avenir.
Il me vient en mémoire tellement de gaffes de sa part, toutes plus absurdes les unes que les autres qu'il était vite devenu la risée de Ferrara.

Un soir, pourtant, il vint me proposer un voyage qui allait changer, disait-il, nos vies à jamais. Je l'entends encore me parler d'une sainte femme dans le duché de Normandie, capable d'intercession afin de le doter, lui, du talent qu'il méritait et moi d'une longue vie, à l'abri du besoin et des affections propres aux déboires amoureux. Ce faux frère savait à qui il s'adressait, et comment. Par un mélange de défaite sentimentale et d'arrogance toute maligne, j'accédai à sa demande, et nous entamâmes un long voyage d'un an dans le doux pays de France jusqu'au terme de notre voyage, au sein d'une forêt nommée Écouves.

Pourtant, au moment de pénétrer une sombre parcelle marécageuse, à peine balisée par un chemin barré de ronces, je le perdis de vue une seconde. Une seconde fatale. Un coup sec au niveau du crâne me fit perdre connaissance. Ce bougre devait avoir préparé son coup depuis un moment.

Quand je repris connaissance, j'étais ligoté à un saule... Ou plus exactement, les racines de cet odieux arbre étaient comme enroulées autour de mon corps, me condamnant à l'immobilité totale.
Mes vêtements avaient été arrachés, et mis à part un linge négligemment posé sur mon intimité,  seules se voyaient une série de signes cabalistiques tracés à l'encre sur des frusques grotesques et bariolées.

La situation devint insoutenable quand j'entendis la voix du Saule. Sombres incantations sataniques...
Murmures et malédictions mélangées. Je crus devenir fou et ne vis que trop tard la vase m'entourer de plus en plus à mesure que je m'y enfonçais. Ma dernière sensation en tant qu'être humain fut le goût âcre et lourd de cette glaise qui m'envahissait. Puis je sombrai...

Je fus réveillé par les coups de burin d'un ouvrier sur ma face. Toute douleur avait disparu de mon être, je me sentais léger et éternel... Aussi éternel que l'on puisse en juger à présent.
Le décor de mon éveil avait totalement été bouleversé. Nous avions bien sûr fait une longue halte dans la cité d'Alençon, proche de la forêt d'Écouves... Pourtant ce n'était pas la cité de mon souvenir. Les bâtiments, les accoutrements de ses habitants, leurs outils, leur langage... Sorcellerie ou long sommeil, ce qui était sûr c'est que le temps s'était écoulé durant mon sommeil de fer.

Puis, je sombrai à nouveau.

Je fis ainsi plusieurs bonds à travers les époques. J'appris petit à petit les événements du passé au contact des chats, pigeons et corneilles. J'appris à communiquer a minima avec les quelques créatures sensibles des environs.

Et voici que vous me réveillez d'un autre long sommeil. J'apprécie cette rencontre messires.

J'en appelle maintenant à vous, car après tout, tout enchantement doit cesser, tôt ou tard.Voyez-vous, ni les chats, ni les pigeons ni les corneilles n'ont su répondre à une question qui me hante depuis maintenant une éternité :


Depuis combien de temps suis-je ici ? Combien de temps souffrirai-je encore à cette porte ?

dimanche 20 mars 2016

samedi 12 mars 2016

L'Alençon-Express...

Ainsi, madame, vous vous arrêtez vous aussi à Alençon ? Drôle de coïncidence... Vu la foule qui a incontestablement pris d'assaut le quai au Mans, j'aurais juré qu'il ne pouvait plus y avoir que moi à souhaiter m'y arrêter.
Oh, vous exagérez, monsieur... monsieur ?
Appelez-moi Gilles.
Oui, monsieur Gilles. C'est vrai qu'un train à ce point vide est une première pour moi, mais tout de même... Alençon doit certainement être une belle ville ?
Certes... Elle a son charme, dirons-nous. Mais dites-moi, pourquoi vous y rendez-vous ?
Oh mon bon monsieur... Comme beaucoup de gens, je ne sais guère où aller. Alors, pourquoi pas ?
Je vois. Quand est-ce arrivé ?
Il y a de cela deux mois, je crois... Monsieur Gilles, je dois avouer que cela m'a beaucoup perturbée et que je ne m'attendais pas à me retrouver au final dans un tel train. Vous pouvez... Enfin, vous êtes un habitué de la ligne ?
Oui, effectivement, je la prends chaque mois. Cela me repose de changer de paradigme de temps à autre.
Paradigme, paradigme... Vous y allez un peu fort, tout de même, mon cher !
Détrompez-vous. Alençon est un monde à lui seul, d'une certaine manière. Les mêmes personnes s'y côtoient depuis une éternité, en un languissant rituel social. Peu de gens y atterrissent de bon cœur, encore plus rares sont les gens à l'avoir délibérément choisi. Quant aux voyageurs comme moi, ils se comptent sur les doigts d'une main.
À ce propos... Oserais-je vous demander de me présenter les lieux notables de la ville quand nous serons arrivés ? J'avoue ne pas du tout savoir où aller.
Bien sûr, nous autres voyageurs sommes aussi là pour ça.
Vous êtes fort aimable. Mais... Dites-moi : combien de temps devrai-je y rester ? Personne ne m'en a parlé.
...Aussi longtemps qu'il vous faudra pour vous détacher de vos anciennes peurs, je le crains, madame. Faute de quoi, vous risquez d'y recevoir votre récompense... Votre éternelle récompense.
Mais...Mais, je... Comment ? C'est...
Vous ignorez encore grandement les règles de ce monde, n'est-ce pas ? Vous les apprendrez, tôt ou tard. Pour l'instant, nous arrivons à destination. Faites-vous à cette idée. Comportez-vous bien. Ne regardez aucun Maître dans les yeux. Et quoi qu'il arrive, rappelez-vous pourquoi vous avez atterri dans ce train : pour changer.
Je... regrette tellement...P-p-p-ourquoi...
Pourquoi avez-vous tué ? Pourquoi vous êtes-vous faite tuer ? C'est ce que vous êtes venue chercher ici. Des réponses.
Mais...mais... Mais je devrais être morte ! J'ai pris une balle dans la tête à dix mètres ! Je devrais ne même pas avoir conscience de quoi que ce soit ! C'est donc ça, la mort ? Répondez-moi !





N'est pas mort ce qui à jamais dort, et au cours des âges étranges peut mourir même la Mort, madame... Mais il est l'heure de descendre. Nous sommes arrivés.
N'oubliez pas : ne fixez jamais les Maîtres. Il en va de ce qui vous reste de vie. Quant à moi, vous me verrez souvent entre deux plans d'existence. Si nous devons nous reparler après le tour des lieux, ce sera au moment de votre départ.
Ce... ce lieu c'est celui qu'on appelle..?

Oui... Le Purgatoire.

mardi 8 mars 2016

À la recherche des Surnaturels d'Alençon...


Vous le savez depuis maintenant un bon moment, moi, Gilles, suis un être surnaturel. Plus exactement à mi-chemin entre le monde des fées et celui des Hommes.
Il existe toute une communauté d'être surnaturels en France. Beaucoup se cachent de vous. "De nous", pourrais-je même dire, si tant est qu'on puisse me confondre avec un humain classique.
Évidemment, nous ne sommes pas dans Harry Potter, où comme par hasard nombre de sorciers, de fées, de créatures magiques se concentrent dans le Chemin de Traverse en plein Londres. Ce serait faire fi du besoin de la plupart de ces créatures à disposer d'un environnement à leur convenance réelle : on ne trouve pas d'elfes esclaves des humains dans la réalité; encore faudrait-il réussir à les soumettre malgré leurs grands pouvoirs. Fantasmes de suprémacistes humains.
Non, le cœur vivant du monde surnaturel de France se trouve près des forêts, dans les champs, entre deux dunes ou encore au bord des lacs et rivières.
Nos amis surnaturels aiment beaucoup la simple nature sauvage et vivante. Ou à la rigueur la nature domestiquée, du moment que cette dernière offre une vraie place, une vraie protection.

Voici pourquoi la ville d'Alençon fait partie de ces quelques villes où, curieusement, dans des recoins sombres et sinueux, se concentrent quelques maisons, quelques commerces tenus par des Surnaturels : Alençon est une ville hantée par la nature, en des endroits peu fréquentés et pourtant bien présents.
Oh, bien sûr, rares sont les touristes à tomber par hasard sur ces lieux; leur discrétion est à ce point totale que, souvent, les Alençonnais ignorent jusqu'à l'existence de ces ruelles.
Pourtant, cela ne fait aucunement d'Alençon une capitale du monde surnaturel local. Que nenni !
Jusqu'à la fin des temps, la plupart des échanges entre Surnaturels se réaliseront dans des champs, près de vieilles souches ou à l'ombre d'un gros rocher au bord d'une falaise.



La discrétion est notre principale qualité. Le silence, notre vertu la plus cardinale.
Même dans les ruelles les plus interdites d'Alençon, bien observateur serait quiconque nous verrait.


Et gare à lui, car les esprits frappeurs ne sont jamais loin...

vendredi 4 mars 2016

Souvenirs d'un être cher...


J'ai connu Jean très jeune. Lui ne l'était pas autant que moi. En vérité, il s'agissait de mon grand-père et grand-père à mes yeux il a toujours été : pour moi son âge reflétait bien plus la noblesse et la droiture de Jean que sa fragilité.
Jean était un Normand comme on peut s'imaginer l'archétype du Normand de la campagne : large d'épaules, blond aux yeux bleus, aimant la bonne chère, certes peu causant, mais beaucoup plus ouvert d'esprit que ce que ces chipies d'apparences pouvaient laisser deviner.
Car oui, Jean était de ces êtres qui savaient accepter les autres tels qu'ils étaient.

Surtout, Jean était plus qu'un grand-père ouvert, très ouvert d'esprit. C'était un honnête homme. Sa probité et sa simplicité paraissaient légendaires à mes yeux d'enfant et d'adolescent. Pourtant, Jean était véritablement peu loquace concernant l'homme qu'il était. Néanmoins, tout dans son comportement, son parcours, son histoire personnelle respirait la droiture, ce genre de droiture qui paraissait jusque dans la manière dont il entretenait son jardin.

Jean n'avait guère besoin de discourir des heures durant pour partager ses valeurs et ses idées.

Pourtant, l'image qu'on pourrait s'en faire jusqu'à présent, d'un homme peu sentimental, guère démonstratif, voire peu impliqué dans la vie de sa famille -sa tribu, oserai-je dire, tant il est vrai qu'il fut le père, le grand-père, l'arrière-grand-père et même l'arrière-arrière-grand père d'une flopée d'enfants- cette image donc, serait pour le moins totalement erronée.

Deux souvenirs particulièrement démonstratifs de qui il était, deux souvenirs qui me tiennent particulièrement à cœur me reviennent en mémoire chaque fois que je songe à lui.

Le premier :
J'avais six ou sept ans et avais obtenu via une de ces publications destinées à la jeunesse qui foisonnaient dans la fin des années 90 un sachet de graines de radis.
Il n'en fallait pas plus pour que l'on me propose de les planter dans le jardin de mes grands-parents. Jean se chargea de m'aider à cette tâche.
Je me souviendrai toujours avec émotion de son regard, son ton de voix qui trahissaient une fierté, une émotion toutefois très contenue d'apprendre à un de ses petits-fils les bases du jardinage. De lui apprendre comment espacer les radis, comment tracer un sillon pour semer les fameuses graines avec la rigueur mathématique qui le caractérisait, et qui le fit sourire quand il constata que je prenais un peu trop au mot cette constance dans l'espacement des futurs radis sous son regard et celui de ma mère.
C'était un de ces moments de partage, un de ces moments de transmission, qui comptent véritablement dans la vie d'un enfant. Ce jour-là, mille étoiles brillaient dans mes yeux pour Jean.

Le second :
J'avais vingt ans. En réalité nous fêtions précisément l'anniversaire de mes vingt ans. Âge symbolique et plein de promesses pour l'avenir, malgré une adolescence tourmentée et un début d'âge adulte laborieux.
Mes grands-parents étaient de la partie, évidemment.
Ce qui me marqua définitivement fut l'instant où, ayant soufflé mes bougies, Jean entama le fameux air de son temps "On n'a pas tous les jours vingt ans !"... Il l'entama, l'air hilare. Heureux, tout simplement, heureux pour moi. Ses yeux pétillaient de joie et son sourire s'étalant d'une oreille à l'autre montraient bien que ce moment comptait pour lui.


Oui, sans aucun doute, sa famille comptait beaucoup à ses yeux. C'est ce qu'il enseigna d'ailleurs à ses enfants, qui l'enseignèrent aux leurs. La famille par-dessus tout, y compris par-dessus le travail, lui qui connaissait pourtant la valeur de l'effort.

Même s'il n'était pas un grand bavard, Jean disposait d'un grand, d'un très grand cœur. Tous ceux qu'il aimait peuvent en témoigner. Il était un grand-père aimant.





Il y a quatre ans et un jour, Jean décédait après une longue vie, une vie honorable, parmi les plus honorables qui soient.
Vous me rétorquerez peut-être que j'en parle avec mes mots de petit-fils attaché à son grand-père.
Peut-être...
Mais je l'aimais. Nous l'aimions... Tout comme nous aimons nous souvenir de qui il était, dans sa simplicité et sa probité. C'est tout ce qui compte.

mardi 1 mars 2016

Angoisses spectrales à la foire de la Chandeleur...

Les foires sont des lieux dangereux.
Des dizaines, des centaines d'âmes en peine y errent, égarées entre deux attractions fantômatiques, sortant d'une maison hantée, se balançant à quarante mètres de hauteur dans une nacelle tournoyante... D'angoissantes poupées entassées dans une machine démoniaque attendant le fol hère qui s'aventurerait à tenter d'en extirper une regardent passer ces damnés, les suivent du regard.
Des aliénés conduisant des auto-tamponneuses percutant d'autres aliénés à bord des mêmes véhicules, des enfants au regard vide chevauchant des licornes ou des dragons en fer et en plastique tentant d'attraper une peluche ballottée au gré des désirs d'un être mi-homme mi-clown à la voix étrangement déformée et même des cris de terreur lorsqu'une de ces maudites attractions fait naître dans le cœur de ses prisonniers volontaires (Mais le sont-ils vraiment ?) au moment fatidique, au climax suprême prévu par l'inventeur pervers de ces nouvelles formes de torture... Tout, oui tout dans les foires vous le prouvera : vous êtes en danger.

Posez-vous un instant dans une des allées et ouvrez les yeux : ne voyez-vous point les fantômes des badauds morts de peur hanter les lieux ?


Je vous aurai prévenus...